Mère voici vos fils qui se sont tant battus.
Vous les voyez couchés parmi les nations.
Que Dieu ménage un peu ces êtres débattus,
Ces cœurs pleins de tristesse et d’hésitations.
Mère voici vos fils et leur immense armée.
Qu’ils ne soient pas jugés sur leur seule misère.
Que Dieu mette avec eux un peu de cette terre
Qui les a tant perdus et qu’ils ont tant aimée.
Charles Péguy. Eve.
En ce jour, nous rendons grâce à Dieu qui permit, par les prières de la Mère de Dieu, de saint Martin et des nombreux saints et justes de l’Europe chrétienne, la fin de l’affreuse torture des peuples européens. Nous faisons mémoire également de tous ceux qui ont sacrifié leur vie, dans des conditions souvent abominables, pour le salut de leur peuple.
La première Guerre Mondiale dura cinq ans (1914-1918). Quoique plutôt européenne, elle fut appelée « mondiale ». Ce fut une hécatombe et une ‘boucherie’ qui provoqua l’horreur dans la mémoire des hommes car plus de 18 millions de personnes perdirent la vie au cours de ce conflit. En ce jour de Centenaire, nous accomplissons notre devoir de mémoire à l’égard de tous ces morts appartenant à nos peuples respectifs, à nos familles, à nos villages ; et nous accomplissons ce devoir pour nos enfants et les générations qui viennent, en prononçant un solennel ‘plus jamais ça !’ – tout en sachant, pourtant, que l’horreur n’a pas suffi à dégoûter les peuples de la guerre.
Parmi les pays les plus touché par cette Grande Guerre, comme on l’a appelée en raison de la terreur qu’elle inspira, la France perdit 1 400 000 soldats et 300 000 civils, soient deux générations d’hommes. Dans le plus petit village français il y a un ‘monument aux morts’ portant une liste impressionnante de ‘morts pour la Patrie’. Mais nos frères roumains ont payé également un lourd tribut avec 250 000 soldats tués, comme en témoignent les cimetières militaires d’Alsace.
Les conséquences de cette guerre doivent être rappelées : disparition de l’empire chrétien orthodoxe de Russie, naissance de la terreur bolchévique, essor de la Turquie, génocide des Arméniens, expulsion des Grecs d’Asie Mineure, déclin politique de l’Europe, avènement des États-Unis d’Amérique comme puissance mondiale. 1918 est également l’année de la naissance de la Roumanie comme État unifié, par l’intégration de la Transylvanie au Royaume et l’union des différentes provinces de la Grande Roumanie. La guerre si terrible eut comme effet de promouvoir la femme dans la société en raison de l’absence ou de la disparition des hommes. La plupart des nations européennes ayant des colonies, les changements du monde affectèrent tous les continents de la terre.
Au cours de ces terribles cinq années, de grands miracles eurent pourtant lieu. Alors que la France, mal préparée à la guerre, risquait de perdre la première bataille de la Marne, en 1914, ce qui, selon les historiens, aurait probablement entraîné sa disparition en tant que grande puissance européenne et chrétienne, la Mère de Dieu apparut sur le Front allemand, étendant son manteau sur notre pays : « Vous ne passerez pas, car mon Fils ne le veut pas ! » Ce miracle fut, affirme-t-on, vu par des milliers de soldats à qui l’on interdit d’en parler.
La résistance des soldats français à Verdun est un exemple. Si ce verrou stratégique avait sauté, la France aurait été envahie. Les chefs militaires eurent l’inspiration d’orienter tous les régiments vers Verdun : toute l’armée française, et, à travers elle, tout le peuple, ont combattu, souffert et vaincu à Verdun. C’est ici le signe du combat spirituel : nous devons, comme nous l’a appris saint Paul, ‘tenir bon’ dans les épreuves, en suivant le Christ qui a tenu bon jusqu’au bout dans sa terrible Passion. Nos pays respectifs sont grands devant la face de Dieu, parce que, dans le sacrifice de soi, nos peuples ont montré la puissance de la sainte et vivifiante Croix dans leur vie, dans leur culture et dans leur mentalité profonde.
Nous faisons, en ce jour, mémoire des saints, en premier lieu de saint Martin, patron de la France et vrai patron de l’Europe. Les saints n’aiment pas la guerre. Saint Martin, dès qu’il fut catéchumène, préféra risquer la mort en première ligne plutôt que de continuer à porter les armes. Le Centenaire de l’Armistice est une dénonciation du pouvoir des armes. Saint Martin s’est endormi le 8 novembre. Le 11 novembre 1918, jour de la translation de ses reliques de Candes jusqu’à Tours, les clairons ont sonné l’armistice sur les champs de bataille. Les fusils et les canons se sont tus. La paix de Dieu triomphait de la haine des hommes. Saint Martin est aimé des Allemands eux-mêmes, qui le prient.
En ce 11 novembre 2018, nos cœurs se tournent vers les membres de nos peuples respectifs et nous présentons au Seigneur la souffrance de leurs familles et l’espérance d’une paix durable. Mais nous savons également que la « cessation des armes », sens du mot « armistice », signifie que l’on s’attache à d’autres tâches, d’autres combats, non sanglants et indispensables : la paix, dans le peuple, dans la famille, au travail, se gagne tous les jours. Tous les jours de la semaine, le Seigneur nous invite à déposer les armes par le non jugement, le pardon et la bienveillance divine qu’Il veut, par nous, répandre parmi les hommes