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Rire, sourire, facéties religieuses

Cotentin

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Les paysans du Cotentin – la Manche, injustement nommée Basse-Normandie – ont de bonnes histoires, souvent en relation avec la vie paroissiale, rapportées dans le savoureux parler local.

« La pénitence –

Notre curé a eu avec lui dans son presbytère, quasiment tout cet été, un monsieur prêtre qui est professeur dans un grand séminaire, je ne sais plus dans quel diocèse ! Mais c’est un homme ‘raide’ savant et qui nous a fait des sermons tous ces dimanches, que c’en était comme une mission. Ah mais, je vous garantis qu’il disait de bonnes vérités, et pas commodes à répliquer !… bien sûr !

Ça fait que Catheraine Loustalot, notre voisine,… en a été quasiment convertie. Quand le prédicateur, dans un de ses derniers sermons, recommanda aux gens la fête du Rosaire et leur dit du haut de la chaire qu’il se tiendrait à leur disposition tout l’après-midi du samedi, Catheraine se promit bien d’aller lui porter son paquet !

Dame, ça se peut bien qu’elle en sentît le besoin aussi, la pauvre ‘créature’, car entre nous, c’est pas pour rien en dire, mais si vous la connaissiez, il y a des jours où elle est plus mauvaise que la femme du saint homme Job qui ne valait pourtant pas cher non plus !

Voilà donc que le samedi au soir, au coucher du soleil, Catheraine qui met sa ‘bounette’ et ses souliers, change de caraco, et qui s’en va à confesse, après avoir fermé sa porte et ‘muchi’ sa clef dans une petite cavité qui est le long du mur de sa cour !

En s’en allant, elle passa devant la maison des Pitous. Justement, la Pitoue récurait sa poêle sur son pavé.

‘Où que tu t’en vas ? qu’elle lui dit. Vas-tu renoncer à Monsieur le curé pour faire laver ta lessive par le prédicateur ?

–  Ma foi, que dit Catheraine, c’est un homme qui a l’air si avenant que ça ne me fera pas de mal de lui conter mes cinq sous.

–  ‘Vère’, mais, que fit Pitou qui réparait un panier dans le mitan de la pièce, ‘vère’, mais Catheraine, prenez garde à la pénitence qu’il va vous donner !

–  Et pourquoi donc ? que fit Catheraine.

–  Oh ! que répondit Pitou en riant, parce que vous êtes méchante et que vous en méritez une bonne !

–  Eh bien, ça sera son affaire et la mienne, que fit Catheraine un peu sèchement.

–  Eh bien, ‘vère’ ! Mais quand Pitou vit qu’elle commençait à s’énerver, il ne la lâcha pas comme ça, vous savez bien ! Bien sûr, bien sûr, qu’il dit, ça sera son affaire, mais ça ne sera peut-être pas la vôtre !… Car je me suis laissé dire que ces messieurs du grand séminaire qui sont si savants ne connaissent pas les besoins des pauvres gens dans les paroisses et qu’ils leur donnent à faire des pénitences comme jamais on n’en a eu ici ! C’est au-dessus de nos forces, c’est pourquoi !

– À la grâce du Bon Dieu, que fit Catheraine, il sera toujours temps de renoncer à porter son bissac s’il est plus lourd que celui que je vais lui donner ! Je m’en vais.

– Catheraine, que fit la femme à Pitou, tu me rendrais service si tu voulais emmener le petit Guste avec toi ; il a fait sa première communion cette année et ma foi, puisque c’est fête demain, je vais l’y envoyer !

– Pourquoi que tu ne l’y conduis pas toi-même ? Tu en aurais encore plus besoin que lui !

– Il faut que je berce le ‘petiot’ pendant qu’il sera parti… Et puis, je vais te dire, j’aimerais mieux qu’il aille devant ! Si le ‘petiot’ vient me redire que ce monsieur-là n’est pas trop brutal dans le confessionnal, je vais y aller dans la soirée.

– Tu es de précaution, ma pauvre Mélanie, que lui fait Catheraine en riant.

– Dame, que fit la Pitoue, comme dit mon homme, ça n’est pas les plus savants qui vous reçoivent le mieux, et il y a de ces messieurs du loin qui vous donnent plus de misères que d’indulgences. Ça fait que j’aime mieux que mon ‘petiot’ soit revenu pour m’en aller.

– Eh bien, viens-t’en, Guste, ‘je n’allons’ pas perdre notre temps en chemin, ni en allant ni en revenant, que dit Catheraine, car j’ai encore bien de l’ouvrage à faire avant que je ne sois couchée.’

Ils s’en furent donc tous deux, mais tout le long du chemin, Catheraine avait la tête tourmentée par l’idée de la pénitence que ce grand prédicateur allait lui donner.

Quand ils arrivèrent, Guste et elle, dans l’église, le prédicateur était à dire son bréviaire à l’autel de la Bonne Vierge. Au bout de deux ou trois minutes, il se leva et s’en vint tou droit de leur côté, et il dit à Catheraine :

– ‘Je vais commencer par votre petit garçon…

– Ah mais, ça n’est pas le mien, monsieur l’Abbé, c’est le deuxième à Pitou la Chopine qui est notre voisin !

– Bien, que fit l’abbé en riant, je vais commencer par lui afin de vous donner le temps de faire votre examen de conscience…

– Je vous remercie, monsieur l’Abbé, que fit Catheraine, mais je connais à peu près ma leçon !

– Eh bien, repassez-la ; vous la réciterez mieux !’

Le confesseur commença donc par le petit Pitou. Le pauvre ‘petiot’ s’accusa de ce qu’il pouvait et comme on allait lui donner l’absolution, voilà qu’il dit bien vite :

‘Pardonnez-moi, mon père, mais j’allais oublier quelque chose !… je m’accuse d’avoir fait la ‘calipette’ devant les filles dans le mitan de l’allée du cimetière.

– Comment ? Qu’est-ce que tu as fait devant les filles ?

– La ‘calipette’, mon père !

– La ‘calipette’ !…Qu’est-ce que cela, mon fils ?

– C’est la’calipette’, mon père !

– J’entends bien !… mais est-ce un mot que l’on dit ?

– ‘Vère’, on dit : ‘Je vais faire une ‘calipette’’.

– Et à qui dit-on cela ?

– Aux ‘petiots’ qui sont là !…Moi, je l’ai dit aux filles un matin que monsieur le curé nous renvoya sans catéchisme pour aller à la conférence.

– Et après, mon enfant ?

– Après !… pour ne pas en avoir le démenti, je fis la ‘calipette’ dans le mitan de l’allée du cimetière !

– Mais alors, si tu la fis après l’avoir, c’est une action ?

– Peut-être bien, mon père !

– Une mauvaise action ?

– Je n’en sais rien… On fait la ‘calipette’.

– Explique-moi comment cela se fait.

– Eh bien voilà, mon père !… on se met à genoux, puis on ‘calipette’ cul par-dessus tête et les autres vous ‘guettent’ faire.

– Je ne comprends pas du tout ce que tu me racontes !… Est-ce un péché ?

– C’est une ‘calipette’ !

– Je ne comprends pas, et cependant je ne puis t’absoudre, s’il y a lieu, sans savoir de quoi il s’agit. Montre-moi comment tu fais une ‘calipette’.

– Ici ?… dans le confessionnal ?

– Mais oui !

– Je n’aurai pas la place de la faire dans cette boîte-là,  mon père. Il faut de l’espace pour faire une jolie ‘calipette’.

– Eh bien, que fit l’abbé, impatienté, sors dans la chapelle et fais une ‘calipette’ devant le confessionnal.’

Ça fait que le petit Pitou sortit de sous le rideau et au beau mitan de la chapelle, il fait, nom de nom, une ‘calipette’ comme jamais les saints de dans l’église n’en avaient jamais vu une !… Puis il se reglissa dans le confessionnal et le prédicateur lui dit : ‘Si tu les réussis toujours aussi bien, il n’y a point de péché !… Seulement fais-les dans d’autres endroits !’ Et il le renvoya.

Qui est-ce qui fut bien étonnée de ce manège-là, ça fut Catheraine, vous pensez bien ! Elle n’en croyait pas ses yeux de voir le petit Pitou sortir du confessionnal et faire la ‘calipette’ tandis que le savant prédicateur ouvrait son guichet pour mieux le ‘guetter’ !

Elle en était suffoquée de saisissement, la pauvre Catheraine, et elle marmonnait en disant son chapelet :

‘Seigneur Jésus, Pitou me l’avait bien dit, dans les villes ils ne confessent pas comme à la campagne !… Ma foi, je vais y renoncer !’

‘Vère’, mais il n’était plus temps : Guste Pitou était relâché et l’abbé faisait signe à Catheraine de s’approcher. Elle n’osa pas refuser, mais sitôt qu’elle fut à genoux dans le confessionnal, la tremblotte la prit et, avant même de dire un de ses péchés, elle dit au confesseur :

‘Hélas, mon père, ayez pitié de moi, soyez indulgent et ne me donnez pas la pénitence que vous venez de donner au petit Pitou, car pour sûr, mon père, je ne pourrai pas faire la ‘calipette’ dans le mitan de l’église comme il vient de le faire !’ »

(René Lepelley et Monique Léon : « Récits et légendes de Normandie. Le Clos du Cotentin. », Centre de publications de l’Université de Caen ; éditions Charles Corlet ; Centre d’Études Normandes, Caen, 1985, p. 43)