« La voie du Salut doit consister pour l’homme, selon le Père [Alexis], dans l’amour total pour Dieu et dans le don de soi. Toutes les pensées, les actions, doivent être dirigées de façon à être agréables à Dieu. ‘Qu’a dit le Sauveur ? Qu’a ordonné le Sauveur ? Qu’est-ce qui lui est agréable en premier ?’, doit-on se demander.
Ce qu’Il souhaite, et ce dont Il se réjouit quand nous l’accomplissons, c’est l’amour du prochain. Quoi de plus agréable au Seigneur que de voir que nous nous privons, que nous nous gênons pour le bien du prochain, que nous nous efforçons de nous contrôler, afin que le la vie avec nous soit plus facile ?
C’est dur ; le chemin qui mène à Dieu est difficile. On ne peut le suivre qu’avec l’aide de Dieu ; livrés à nous-mêmes, nous sombrerions dès les premiers pas. C’est pour cela que nous devons constamment prier Dieu de nous aider. Il faut demander le pardon de nos péchés, et des forces pour vivre, pour se corriger et le servir comme Il le souhaite ; le remercier pour sa longue patience et sa miséricorde.
Dans la vie quotidienne, nous devons oublier notre ‘moi’ et vivre les joies et les souffrances de chaque être auprès duquel Dieu nous a placés. De même, dans la prière, nous devons, non pas chercher force et consolation pour nous-mêmes, mais, en nous oubliant nous-mêmes, demander seulement à Dieu des forces pour accomplir sa volonté sur terre, là où Il nous a envoyés.
Il s’agit, non pas de la vie extérieure, mais de l’état de l’âme de l’individu qui doit toujours mettre en avant l’amour du prochain. Au nom de cet amour, il doit reconstruire son identité intérieure, afin de faciliter ainsi la vie de son prochain. Le prochain, c’est en premier lieu la famille, et ensuite ceux avec qui on a des contacts dans la vie.
Le Père ne faiblissait jamais dans son exigence pour cette attitude d’amour, de patience, d’humilité à l’égard de son prochain. Le sentiment de repentir, le Père le maintenait par de fréquentes confessions ».
(Moniale Juliana, Le Père Alexis Metchev, starets de Moscou, L’Age d’homme, Paris, 2011, p. 84. Corrections de forme apportées par nous à cette version française)
Commentaire :
« L’amour total pour Dieu et le don de soi » –
Cette disposition est la conséquence naturelle, d’une part, de notre état de créature ; d’autre part, de notre état de baptisé.
Par nature, nous sommes la créature de Dieu : notre bonheur et notre épanouissements naturels sont ainsi de lui appartenir de tout notre cœur. Les commandements de Dieu visent simplement à ce que nous épanouissions notre nature originelle. Par nature, l’homme est homme-de-Dieu. Plus il avance de l’état de simple sceau de l’image divine à l’état de ressemblance à Dieu, plus il accomplit sa nature, plus il jouit du bonheur, plus il connaît le Salut, c’est-à-dire la vie sans ombre avec Dieu et avec tous ceux qui sont également proches de lui.
Par le baptême, nous avons été consacrés à Dieu en étant assimilés au Fils de Dieu, en recevant l’onction du saint chrême sur tous nos membres et en recevant la consécration intérieure par la communion au Corps très pur et au Sang très précieux du Dieu Homme. Un baptisé est une personne consacrée à Dieu : aussi l’amour total pour Dieu et le don de soi lui sont-ils plus que naturels ; ce sont des dispositions charismatiques qui ne demandent qu’à fructifier. La vie chrétienne n’est autre que l’accomplissement de la grâce baptismale. Et le fondement de cet accomplissement est la foi, ou consécration du cœur à Dieu.
« L’amour du prochain »
Il découle naturellement de l’amour de Dieu. En effet, si nous aimons Dieu, nous aimerons avec joie celui ou celle qu’Il aime, c’est-à-dire le prochain
« Etre agréables à Dieu »
Ceci procède de l’amour. Si tu aimes une personne, tu ne penses qu’à lui plaire. Tous les matins, en te levant, tu te demandes ce que tu pourrais faire pour lui ou pour elle. La vie naturelle pour l’homme, comme pour les anges, d’ailleurs, consiste seulement à plaire à Dieu, à faire le bonheur de Dieu, et à se réjouir du bonheur que l’on apporte à la personne divine que l’on aime.
« C’est dur ; le chemin qui mène à Dieu est difficile »
La difficulté vient seulement de ce que nous ne vivons pas selon notre nature. En réalité, il n’est rien de plus facile, de plus agréable et de plus doux que de s’approcher de Dieu. Auprès de lui, nous nous trouvons chez nous : Il est notre Père. Nos péchés, nos passions égoïstes, l’amour de nous-mêmes, créent une telle barrière entre ce bonheur et nous, qu’il nous faut, avec la foi, déplacer une véritable montagne pour nous approcher de notre Père céleste. Cette montagne est mobilisée principalement, comme le dit le Fils de Dieu, par la foi et par le repentir. Et il arrive que, en un clin d’œil, cette montagne soit déplacée comme si elle n’était qu’une plume, tellement la grâce de Dieu est puissante et douce. Elle est comme un souffle, comme une brise, dont la tiédeur fait fondre la dureté de notre cœur, si toutefois nous le voulons. Ainsi, disons avec audace : C’est facile ! Le chemin qui mène à Dieu est aisé ! Et ce chemin est tellement gratifiant, que nous souhaitons à tous, à ceux que nous aimons, à ceux qui nous aiment et même à nos ennemis, si nous en avons, de l’emprunter sans tarder.
« Nous devons », « il faut »
N’attachons pas trop d’importance à ces expressions, ce sont des figures de style. La vie en Dieu – la vraie vie, la vie éternelle, le Royaume – n’est pas un devoir : elle est un pouvoir et une grâce. Ce que veut dire saint Alexis, c’est que le chemin du Salut comporte un itinéraire précis. Mais il n’y a ici aucune obligation extérieure, aucune loi autre que celle de l’amour. Toutefois l’amour est exigeant !
« Demander à Dieu des forces pour accomplir sa volonté »
Ici est l’enseignement caractéristique des Pères orthodoxes, ce qu’on appelle la « synergie », conjonction de la grâce et de la liberté. Saint Jean Cassien, un grand saint orthodoxe vivant en Occident dans les premiers siècles, en a donné l’exposé dans ses Conférences. Nous connaissons la volonté de Dieu, et nous lui demandons la grâce de la faire. Telle est notre liberté. C’est l’enseignement du Fils de Dieu lui-même : « Que ta volonté soit faite » se traduit : « donne-moi de faire ta volonté ». La Mère Dieu le dit à l’Archange : « qu’il m’advienne selon ta parole ! » – c’est-à-dire : qu’il me soit donné d’accomplir le projet que le Seigneur a pour moi et que tu m’annonces ! C’est également ce que le prophète David demande à Dieu dans le psaume 142. Nous connaissons très bien la volonté de Dieu par sa Parole, par la voix qu’il fait entendre à notre conscience, et par le témoignage des saints, de nos frères et de nos pères dans la foi. Notre vocation est de la « faire », de la mettre en pratique. Nous avons besoin de nous purifier des passions contre nature pour faire ce que Dieu veut ; et nous avons besoin de l’énergie incréée de sa grâce pour mettre son vouloir en œuvre avec toute notre volonté et toute notre liberté. Le repentir est strictement le regret douloureux de n’avoir pas pu, pas su ou pas voulu faire ce que Dieu veut, ou aimé ce qu’Il veut, ou voulu ce qu’Il veut. Et, ce qu’Il veut, c’est que l’homme participe librement et amoureusement à son propre être qui n’est qu’amour. Il s’agit pour nous de vouloir sans contrainte le bonheur que Dieu veut pour nous, c’est-à-dire une béatitude et une allégresse librement choisies, dans un Oui absolu !